NIAKLAND |
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Portrait d'Alexis Desolneux
Les toutes premières fois que je suis allé à Chelles pour m’acheter mon premier vélo de flat au célèbre shop Cycles Jean-Claude, je passais devant le parking du centre culturel et j’y apercevais un rider qui n’arrêtait pas de rouler quelque soit l’heure à laquelle je passais. C’est bien plus tard que je découvris qu’il s’agissait de ce fameux Gougoule qui racontait ses petites anecdotes dans chaque numéro de Soul magazine.
Peux-tu te présenter ?
Alexis Desolneux, j’habite à Chelles et j’ai trente-trois
ans.
Comment as-tu découvert le bmx ?
Dans un journal pour enfants qui s’appelait Télé Junior
en 1979 : il y avait des photos de race aux États-Unis. En fait, c’était
un magazine de bandes dessinées mais ils avaient fait un petit article
sur les débuts du bmx aux États-Unis, donc c’est la première
fois que j’en ai vu et j’étais ébahi. En fait, j’ai
eu des vélos « classiques » avant d’avoir un bmx, et
je me suis rendu compte que je faisais un peu comme eux, de mon côté,
dans le bois de Vincennes : donc des courses avec mes copains, on sautait des
bosses avec nos vélos pourris ! Et eux, c’était pareil sauf
que sur les photos, on voyait les premières courses de bmx. Voilà,
c’est comme ça que c’est arrivé, j’avais huit
ans.
Tout
le monde te connaît en tant que flatlander ; ceci dit, tu fais du street
: le bmx a débuté par le flat puis le street, le street puis le
flat ou tout simplement les deux en même temps ?
Le bmx a commencé sur des terrains en terre et dans la rue. À
la base, c’était des gamins qui n’avaient pas les moyens
de s’acheter une motocross et donc ils faisaient des courses et des sauts
sur des bosses avec leur vélo. Après, tout ce qui est flat, rampe
et le reste, c’est venu bien plus tard, au tout début des années
80… Quoique déjà, à la fin des années 70,
il y avait quelques gars qui commençaient à faire des aerials
dans les skateparks californiens en béton… Ils roulaient en fait
dans les bowls conçus pour le skate. Mais le street, même si le
nom n’existait pas encore, et avant de devenir un type de pratique bien
particulier, a commencé tout de suite parce que les mecs étaient
dans la rue à sauter des trottoirs, ils posaient une planche sur un parpaing
pour sauter... Mais ça ne s’appelait pas le street. C’était
simplement les débuts naturels du bmx : les gamins allaient sauter sur
des bosses et roulaient sur tout ce qu’ils rencontraient autour de chez
eux. C’est aussi exactement comme ça que j’ai commencé.
Et pour toi, comment est venu le flat ?
La première fois que j’en ai vu, c’était dans des
magazines achetés dans une librairie anglaise à Paris, Freestylin’,
un magazine américain, et BMX Action Bike, un magazine anglais. C’était
en 1984. Il y avait des photos de flat, c’était vraiment les tout-débuts.
Et la première fois que j’ai vu du flat autrement qu’en photo,
c’était des démonstrations d’Eddie Fiola et R.L. Osborn
au premier Bicross International de Bercy à Paris en 1984.
As-tu toujours habité Chelles ?
Non, avant j’habitais à St-Mandé, en bordure de Paris. J’ai
habité là-bas 27 ans.
Il y a une bonne scène skate là
où tu résides : pourquoi le bmx et pas autre chose ?
Le bmx, j’en fais depuis toujours ! Et peu importe s’il y a une
grosse scène bmx chez moi ou pas, c’est pas vraiment le problème
: j’ai envie de rouler…Mais c’est sûr que si j’étais
plus jeune et que j’aurais quelque chose à faire ici, ça
serait du skate parce qu’ici, y’a une super scène, c’est
clair !
Qu’est-ce que t’apporte le bmx ?
Un petit peu de liberté…C’est vraiment la chose la plus importante
pour moi. Dans le monde dans lequel on vit, c’est un espace de liberté…
Cela m’apporte d’autres choses mais ces choses découlent
toutes de cet aspect en fait : le plaisir de rouler, la possibilité d’exprimer
des idées etc…
La plupart des jeunes te connaît comme
un rider brakeless : rassures-nous, as-tu commencé avec des freins ?
Oui avec deux freins… Un vrai coasterbrake aussi, pas un freecoaster.
C’est quoi ?!
Un coasterbrake ?
Ouais…
Un moyeu à rétro-pédalage si tu préfères.
Aujourd’hui on roule avec des freecoasters mais avant c’était
un frein : quand tu bloquais les pédales vers l’arrière,
ça freinait.
Ah d’accord…
Et parfois, on s’en servait en flat : il y a des figures où tu
étais en appui sur le rétro. Ce temps est bien révolu !
À l’époque tu avais au moins un frein arrière. Puis
quand on a commencé à faire du flat, on a tout de suite remis
le frein avant pour apprendre « endo ». « Endo », tu
sais, c’est quand on se met sur la roue avant. Donc en fait, pour ça,
j’ai remis un frein avant : je l’avais enlevé, je ne faisais
que des sauts.
Depuis quand roules-tu sans ?
Novembre 97.
Pourquoi
?
D’abord pour le plaisir que cela m’apporte. Mais pour t’expliquer
comment ça m’est venu, il y a un truc qui a été déterminant
: en 96, j’ai passé quinze jours aux États-Unis avec Chase,
on a roulé ensemble et à en discuter j’ai compris tout de
suite sa vision des choses par rapport au riding sans frein et de toute façon
il suffisait de le regarder rouler pour comprendre... Cela m’a vraiment
mis une claque. Dans le gain de mobilité et le dépassement de
certaines barrières techniques, il m’a fait réaliser les
possibilités et la progression que cela pouvait offrir. Là-bas
je me disais que ce n’était pas un truc que j’allais faire
dans l’immédiat mais courant 97, j’ai rappris des bases nécessitant
traditionnellement un frein avant, comme les pinky squeaks ou les fire-hydrants.
Et je me suis vraiment amusé : je me rendais compte que ces vieilles
figures se mutaient en quelque chose de nouveau avec d’autres sensations,
juste grâce au fait de les effectuer sans utiliser le frein. Un peu comme
si avoir appris ces figures à l’aide d’un frein n’avait
fait que dissimuler une autre technique, plus mobile, plus directe, plus aboutie.
J’avais l’impression de recommencer le vélo et je peux te
dire qu’après 12 ans de riding à l’époque c’était
important comme sensation ! Quand j’arrive à retrouver ce sentiment
de nouveauté, c’est ce que j’adore avec le flat. Et c’est
ce qui s’est passé. J’avais besoin de plus de sensations,
que ça bouge plus… Pour moi, c’était évident
que j’avais à y gagner au niveau de mon plaisir de rouler. Aujourd’hui
ma vision des choses a sans doute encore évolué mais le plaisir
dans le riding reste l’élément central de ce choix même
si l’apprentissage d’un mouvement engendre son lot de souffrances
mentales et physiques. La question des freins ne devrait être qu’un
choix personnel, une préférence et non un courant ou une norme.
La progression n’est pas nécessairement liée à la
présence des freins ou non sur le vélo mais simplement au bon
usage ou non-usage de ceux-ci. Je veux dire par là que l’usage
du frein pour certains mouvements peut vraiment retarder la progression et l’apprentissage
réel d’un mouvement mais qu’il y a aussi des gens qui font
avancer le flat avec deux freins sur leur vélo. Là n’est
pas la question. De toutes façons, ces riders-là ont souvent de
grandes aptitudes à rouler sans frein et leurs freins sont en général
un plus qui leur permet de donner une direction particulière à
leur riding.
Aimerais-tu en remettre un de ces quatre ?
Actuellement non mais si je le devais pourquoi pas ? Je ne me l’interdirais
pas ! (rires) Mais honnêtement, je ne pense pas que ça arrive,
ce serait un retour en arrière pour moi… Je m’amuserais moins
je crois. Et cela va peut-être te surprendre, mais cela me rassure de
travailler à partir de la simplicité d’un vélo sans
frein et je vois dans cette simplicité une « bonne » contrainte.
Il y a une infinité de possibilités avec un vélo sans frein
et pourtant, il en existe encore plus avec des freins. Mais ces possibilités
liées aux freins ne me font pas envie. Je crois que cette contrainte
technique me pousse beaucoup plus à envisager le riding sous une forme
qui me convient. Je veux aller à l’essentiel dans le mouvement
et je pense que les freins risqueraient de me retarder ou de me distraire dans
cette démarche. Certains voient peut-être ça comme une limite,
moi pas du tout. Je n’ai jamais eu l’intention d’apprendre
toutes les figures qui existent, ce n’est pas ce qui m’intéresse.
Ce qui m’amuse c’est de développer des pans entiers de mouvements
qui m’apportent des sensations, d’imbriquer des morceaux de mouvement
entre eux avec cohérence. Or il se trouve que ces mouvements n’impliquent
pas l’usage des freins. C’est même plutôt le contraire
: l’absence de freins me pousse à rechercher et comprendre le mouvement
idéal, celui qui laisse se développer au mieux les forces et qui
libère de l’énergie. Je suis conscient de l’importance
de l’amplitude d’un mouvement dans les sensations que le riding
me procure. C’est vraiment là que je me fais plaisir. J’ai
un rapport très simple avec le riding qui est fondé sur la sensation
: quelque chose me plaît, j’aime l’explorer et les idées
viennent d’elles-mêmes ou avec un petit effort de réflexion
et d’imagination des gestes et du mouvement général. Être
à l’écoute du mouvement favorise les nouvelles idées.
J’ai de l’amour pour ce que je fais et mon esprit est souvent occupé
par le riding : je m’efforce d’entretenir cette passion en écoutant
les sensations que m’apporte le côté physique du flat. Je
ne parle pas du côté sportif mais de l’équilibre,
la vitesse, les transferts d’énergie etc. Tous les aspects physiques
que l’on ressent en fait. J’ai remarqué que les idées
que j’arrive le mieux à développer viennent de là.
Au bout de vingt ans de riding cette année, cette relation est centrale
et si je ne l’avais pas en moi, j’aurais certainement arrêté
depuis longtemps.
Un jour, tu m’as dit qu’il est tout
à fait possible de rouler seul 365 jours par an car tout dépend
de ta motivation : quelle est-elle ?
C’est un peu sorti de son contexte. C’est vrai que je t’ai
dit ça mais ce n’est pas une fin en soi de rouler seul 365 jours
par an comme ce n’est pas non plus une fin en soi de rouler 365 jours
par an. Ce que je voulais dire c’est qu’à partir du moment
où tu t’amuses sur ton vélo, le flat est un truc que tu
peux pratiquer seul sans pour autant le vivre mal, bien au contraire. Ma motivation
est de rouler, faire évoluer mon riding et de le modeler comme bon me
semble. Je m’amuse comme ça. J’aime bien rouler à
côté de chez moi, or ici il n’y a presque personne, donc
je roule seul 99% du temps. Mais pour moi ce n’est pas un problème,
j’aime bien rouler seul car j’arrive beaucoup mieux à me
concentrer. Et de toute façon, j’aime bien me retrouver seul un
moment dans la journée donc c’est quelque chose qui me convient
et qui m’est nécessaire. Après, je peux très bien
comprendre que des gens aient absolument besoin de rouler en groupe mais en
ce qui me concerne je m’amuse bien comme ça. Et puis je me rends
régulièrement aux événements, donc du monde j’en
vois aussi… C’est un équilibre : j’aime les deux, rouler
seul à la maison et rouler sur les événements, avec les
copains…
Bon
je sais que tout le monde a ses petites manies avant d’aller rouler :
quelles sont les tiennes ?
Non, j’ai pas vraiment de manies : j’arrive ici, je fais quelques
bases pour m’échauffer… Des hang five to halfpacker…
Si ! J’aime bien faire une série de whiplashes car en général,
je me rends tout de suite compte si je me sens bien ou pas ce jour-là.
C’est une figure où tu dois vraiment bien sentir l’équilibre
donc je vois vite si je suis bien réveillé ou pas ! (rires) Donc
à ce moment-là, si je vois que c’est pas ça, je m’échauffe
plus et après ça va mieux.
Tu continues encore le street ?
En ce moment non mais c’est quelque chose que j’ai toujours eu en
moi, à côté du flat depuis que j’ai commencé
le bmx. Mais j’ai l’impression que plus ça va et plus le
flat devient riche en sensations et c’est sans doute pour ça que
je m’en satisfais davantage et que mon envie de rouler en street s’est
atténuée dernièrement.
Avec qui rides-tu dans ce cas ?
J’aime bien rouler avec Thomas Caillard, Lotfi Hammadi, John Petit, Uriel
Krakover… Mes vieux copains avec qui je m’amuse, tout simplement.
Quels sont tes spots favoris ?
J’aime beaucoup les handrails mais eux ne m’aiment pas toujours
(rires).
Ouais je vois !
Mais j’aime beaucoup les rails. Certains rails ou barres en skatepark
aussi. Et puis hips en plans inclinés, manual pads, curbs etc.
Il y a un truc qui m’a marqué quand
je t’ai vu la première fois dans un magazine : lors de la première
tournesoul, tu inventes le crooked grind ! Comment t’est venu cette idée
?
J’avais constaté qu’en bmx, il n’y avait pas de nose
grind un petit peu comme ça se fait en skate où tu peux vraiment
rester longtemps sur le rail, sur l’avant. C’était pas dans
mon intention de copier le skate mais ça m’a juste inspiré
pour ça parce que j’avais bien envie de trouver un moyen de grinder
longtemps sur le peg avant… Plus qu’en toothpick grind en fait…
Et puis voilà, je sais pas, j’ai essayé, ça a marché.
En fait, ce que j’apprécie en skate, c’est qu’ils ont
beaucoup de mobilité sur les rails et c’est un peu vers ça
que j’espérais me diriger, vers un peu plus de mobilité
et plus d’équilibre.
Maintenant, tu es passé chez Twenty et
tu vas développer des produits signatures chez eux. Vas-tu continuer
dans la même optique que L’Essence ?
Je ne vais pas continuer dans l’optique de faire du matériel utilisable
en street et en flat pour la simple raison que je suis sorti d’une période
où j’avais davantage la tête aux deux disciplines, même
si le flat a toujours été dominant et de loin. Non pas que ça
ne fonctionne pas mais simplement que j’ai maintenant besoin d’un
vélo 100% flat. Donc ça, c’est le premier changement. Après,
c’est sûr qu’en allant chez Twenty, j’emmène
avec moi mes idées et notamment des idées que j’aurais peut-être
développées avec L’Essence si cela avait pu continuer. Mais
entre-temps la qualité du matériel s’est encore améliorée
ce qui a fait aussi évoluer mes projets, comme par exemple mon guidon
Ellipse qui va sortir en tubes neuf épaisseurs. Je suis heureux
de pouvoir développer ces idées avec Twenty. Mais ce n’est
pas L’Essence chez Twenty, c’est Twenty !
Pour revenir à ces idées, les pegs
de diamètre raisonnable sont-ils toujours en projet ?
Martti a, en quelque sorte, réveillé certains riders depuis son
« bike check » dans Soul avec ses pegs de street ;et les pegs suelo
font un malheur.
Je ne ferai pas de pegs de très gros diamètre : je ne suis pas
à l’aise là-dessus, ni la plupart des autres riders d’ailleurs.
En revanche je trouve que les pegs trop petits font mal aux pieds sur les pivots
et qu’ils peuvent aussi détruire les chaussures. Je pense qu’il
existe une taille intermédiaire. Pour le moment, nous réduisons
un petit peu le diamètre des pegs Turbine qui sont à
mon avis de très bons pegs.
Tu es devenu un daron dans tous les sens du terme.
Est-ce une image que tu cultives ? Je pense notamment à ta barbe de l’hiver
dernier…
Ah oui, oui, c’est une image que je cultive complètement. D’ailleurs,
je vais m’acheter une paire de Méphisto ! (rires) Je pense que
je vais essayer d’avoir un contrat chez eux ! (rires). Nan, nan, c’est
pas une image que je cultive. Mais c’est vrai aussi qu’à
trente-trois ans j’ai pas spécialement l’envie ni le besoin
de m’habiller comme un adolescent de seize ans ou d’essayer d’avoir
l’air plus jeune que mon âge... J’assume pleinement l’écart
de génération qui me sépare parfois des jeunes riders d’aujourd’hui
car cet écart peut se révéler très positif à
travers l’énergie que les plus jeunes (que moi) me donnent et que
moi je leur donne aussi. Mais c’est vrai que j’suis un daron ! (rires)
Vous verrez ça arrive plus vite qu’on ne le croit, hé, hé
!
Qu’est-ce
qui a changé dans ta vie de rider depuis la naissance de ton enfant ?
J’ai envie de te répondre tout et rien ! Rien parce que mon envie
de rouler est non seulement intacte mais elle est même décuplée,
parce que dans la vie avoir un enfant est une chose qui peut être tellement
positive que cette positivité se retrouve dans les choses que tu fais.
J’ai toujours autant envie de rouler si ce n’est plus. Et après,
ce que ça change, c’est qu’il faut vraiment apprendre à
s’organiser : c’est la seule façon pour moi de pouvoir continuer
à rouler autant qu’avant. Si tu n’es pas organisé,
tu te retrouves toujours à faire des choses que tu ne peux pas contourner,
car le gros changement, c’est de ne pas forcément pouvoir rouler
aux heures qui te conviennent le mieux. Concilier famille et riding me prend
beaucoup d’énergie mais m’en donne au moins autant en retour.
Quelle est la journée type d’Alexis
Desolneux ?
Disons une journée de semaine… J’emmène mon fils à
la crèche vers 9h, après soit je vais rouler, soit je travaille
sur le magazine puis je roule l’après-midi jusqu’à
17h30… En fait, c’est une ou deux sessions dans la journée,
ça dépend des jours. Je retourne le chercher à 18h et je
m’occupe de lui ; et deux fois par semaine, j’enchaîne le
soir, je vais rouler dans une salle. Les journées sont bien remplies,
certains jours je suis épuisé mais bon… Je suis très
heureux comme ça.
La plupart des riders apprécie rouler
en musique. Cela ne semble pas être le cas pour toi. En tout cas, je ne
t’ai jamais vu avec un baladeur : pourquoi ?
J’ai déjà roulé avec un baladeur mais c’est
vrai que je n’en ai pas pris l’habitude parce qu’à
mon ancien spot, c’était un peu dangereux avec les voitures qui
passaient assez souvent. J’avais besoin d’entendre un peu ce qui
se passait autour de moi. Après, c’est vrai que j’aime bien
le silence de mon spot, entendre les oiseaux… Des détails qui font
que le spot est calme en fait. C’est vrai que d’une manière
générale, ça ne me dérange pas de rouler sans musique
du tout : je peux bien me concentrer, ça me met face au riding et il
n’y a rien qui me distrait et je pense que j’ai de meilleures sensations
quand c’est juste le spot, le vélo et moi.
Quel genre de musique écoutes-tu ?
Plein de trucs différents, plus ou moins calmes, plus ou moins énergiques…
J’avoue avoir du mal avec les musiques électroniques ou synthétiques
en général, je préfère les musiques organiques où
le rapport entre le musicien et son instrument domine, qu’il s’agisse
de death-metal, de jazz, de rock, post rock etc. L’important pour moi
c’est qu’une émotion se dégage. Cela va de certains
trucs brutaux mais particulièrement inspirés comme Nile et Immolation
en death metal, Hoover, Regulator Watts et Abilene pour quelque chose de plus
« rock » ou « post rock » même si ces termes sont
très vagues. Thelonious Monk, Coltrane et Davis en jazz. J’adore
aussi Breach, c’est du rock noise très lourd et sombre, Nasum en
grindcore (incontournable), du crust punk comme Kontrovers, Tragedy etc. Knut,
Mare, Old Man Gloom, j’aime beaucoup aussi… Christie Front Drive,
Boilermaker, Brazen, Shiner pour quelque chose de plus pop rock… Ah !
Je hais ces étiquettes, elles sont tellement réductrices ! Le
dernier Crowpath, excellent, quatre jeunes Suédois qui jouent un chaos
organisé entre metal hardcore, deathmetal moderne et grind, complètement
ahurissant de technique et de créativité… Entombed aussi,
un de mes groupes de chevet, les Fugazi du metal ! Fugazi bien sûr aussi
mais ça c’est depuis la fin des années 80…Etc. La
liste est déjà beaucoup trop longue…
Suivant l’humeur en fait !
Ouais suivant l’humeur ! C’est vrai que quand je vais rouler, j’aime
bien écouter des trucs très énergiques, tendus…Pas
mal de grindcore, HC, death metal ou autre et quand je rentre du spot dans ma
voiture, je mets un truc plus relaxant…
Tu joues dans deux groupes de death metal : de
quel instrument joues-tu ?
Un seul groupe…
Ah ok ! Donc un seul groupe de death metal…
Bah en fait, un groupe de death metal (Carmina) et un projet à côté
plus rock/hardcore noise… Mais le projet stable, c’est un groupe
de death metal dans lequel je joue de la guitare.
On
voit parfois les mecs intervertir de rôle (chant, basse, batterie, guitare)
: ça te dirait d’essayer de changer pour voir ce que cela donne
?
Pas vraiment, j’aime bien la guitare et j’aime bien chercher des
plans, trouver des mélodies, un peu comme on trouve des enchaînements
en flat... Maintenant, je ne me vois pas me mettre à la batterie par
exemple car c’est un truc à part entière qui se compare
au flat ! (rires) Cela demande beaucoup de temps. Et puis la guitare, j’ai
toujours voulu en jouer depuis les premiers disques de rock que mon grand frère
m’a mis sur les oreilles lorsque je devais avoir dix ans (Clash, AC/DC,
Police, Kinks, Smiths, Talking Heads, puis The Cure etc.) et en plus c’est
pratique : je suis chez moi, hop, je la sors et je peux bosser des trucs de
mon côté.
Qu’est-ce que ça fait de jouer avec
les anciens Ananda ?
(Rires) Pour moi rien de spécial vu que les deux ex-Ananda dans Carmina,
ce sont des personnes que je connaissais avant qu’elles ne jouent dans
Ananda. Ce sont avant tout des amis. Donc voilà, rien de particulier
si ce n’est que ce sont des gens talentueux… Je suis tout le temps
en train d’apprendre avec eux. Mon collègue qui joue de la guitare
passe du temps sur son instrument à peu près comme moi sur mon
vélo donc nécessairement il me pousse à progresser.
Comment t’organises-tu avec les répétitions,
les concerts et tout le reste ?
Si un concert se présente, on s’organise à l’avance
mais il est arrivé une fois qu’on doive en annuler un à
cause d’un contest que je ne pouvais pas rater, c’était celui
de Berlin en octobre dernier. C’est arrivé qu’une fois pour
le moment et ce fut très embarrassant pour moi de devoir annuler…
Donc effectivement ce n’est pas simple mais probablement plus simple que
si je bossais de nuit le week-end, dans un hôpital par exemple. On répète
une fois par semaine, en plein milieu de semaine, comme ça je ne suis
jamais en déplacement. J’ai toujours joué dans des groupes
depuis 95 et cela reste un plaisir pour moi que de jouer devant 50 personnes
dans une MJC, un bar, squatt ou autre à l’autre bout de la France
donc c’est toujours un dilemme de choisir entre bmx et musique lorsque
deux dates se chevauchent.
Le death metal est une musique plutôt violente.
En concert, les mecs se donnent à 300% mais quand on discute avec les
intéressés, on se rend compte que ce sont des gens normaux, cool,
assez calmes dans la vie ordinaire. Comment expliques-tu ce paradoxe ?
Personnellement, j’ai grandi avec la scène punk hardcore «
do it yourself » et pour moi, le death metal est juste une forme musicale.
Je ne peux pas vraiment te parler de la scène death metal underground
que je ne connais pas mais en général, cette énergie et
cette brutalité qu’il y a dans la forme, les gens s’efforcent
de la créer. Ce n’est pas juste pour faire un truc bourrin. Cela
relève de l’expression. Souvent c’est une musique assez complexe
si tu écoutes bien ce qu’il s’y passe. Par ailleurs, bien
sûr que c’est une musique violente car très bruyante et,
comme je le disais, parfois complexe, ce qui la rend donc violente à
l’oreille. Si c’est fait intelligemment, c’est ce que j’apprécie
dans ces musiques. Mais il faut que tu saches par exemple qu’un morceau
de musique électronique, quelle qu’elle soit, est beaucoup plus
violent pour mon oreille si le même rythme se retrouve à travers
tout le morceau. Parfois je ressens même un malaise avec certains trucs
de techno ou de jungle. Je ne dis pas que toute la musique électronique
est forcément très répétitive, je sais bien que
non, mais en tout cas, celle qui l’est, je la perçois comme quelque
chose de violent au niveau auditif. Ce n’est pas mon truc c’est
tout. Sans même te parler dans un autre domaine de—disons—Garou
et Sardou ou encore je ne sais quelle nouvelle star académique où
là pour moi c’est carrément de la torture !
Pour en revenir à ta question, je pense que c’est juste un moyen
d’extérioriser les aspects négatifs du monde dans lequel
on vit qui nous touchent, que l’on subit, que l’on digère
malgré nous mais que l’on expulse malgré tout par une musique
très énergique voire brutale. Je pense que ce n’est pas
un paradoxe que les gens qui font cela, comme tu dis, aient l’air normaux.
Au contraire, jouer cette musique est une façon de rester normal car
c’est une façon d’extérioriser les frustrations. Et
bien sûr de créer et prendre plaisir à écouter et
jouer de la musique, tout simplement. Mais au-delà de ça, pour
moi c’est le genre de musique qui reflète le tourbillon dans lequel
on vit (rires). Parfois tu écoutes un morceau de death ou de grind, très
très rapide et complexe et c’est un véritable tourbillon
sonore et je trouve que c’est un miroir du monde actuel. Une sorte de
représentation sonore de l’insupportable qui permet justement à
certains d’entre nous de supporter ce qui est insoutenable pour beaucoup
de gens. Et bon, ce miroir-là est expulsé par des personnes qui
s’expriment d’une certaine manière mais il y a des gens dans
la société qui vont s’exprimer autrement… Comme en
se battant après avoir bu (rires) ou autre, donc il faut relativiser
!
Tu bosses pour Soul Magazine. Auras t-on droit
à un retour de la fameuse rubrique « le monde merveilleux de Gougoule
» ?
Je ne sais pas mais à priori, quand je fais des choses, je les fais par
cycle : je commence un projet, j’essaie de l’amener au bout et quand
je me sens au bout, j’arrête et je recommence autre chose…
C’est valable aussi pour l’évolution de mon riding. Gougoule,
je pense pas, j’avais envie de faire ce truc-là à un moment
donné et puis je suis arrivé à un point où je n’avais
plus envie de continuer… Le dernier était un assemblage de photos
avec pas mal de spots sur lesquels j’ai roulé chez moi ou en voyage.
J’ai bien aimé celui-là en fait car pour moi, il avait beaucoup
de sens, voilà… Pour moi au moins ! (rires) Mais je me suis beaucoup
amusé à écrire tout ça.
Ces dernières années, tu t’es
surtout chargé de la chronique vidéo. En es-tu fana ?
La chronique vidéo est une toute petite partie de mon travail qui est
à la base secrétaire de rédaction… Tout ce qui est
lié à la gestion des textes en fait. En ce qui concerne les vidéos,
oui, j’adore regarder une bonne vidéo où les gens ont vraiment
travaillé l’ambiance, c’est un truc qui est très important
pour moi. Je ne suis pas fana de la vidéo au sens strict du terme : la
majorité des vidéos de flat, je ne les trouve pas passionnantes
mais après, je ne dis pas que c’est facile de faire une vidéo
de flat ! Mais je ne bouffe pas de la vidéo matin, midi et soir, loin
de là, au contraire. J’en ai tellement regardé pour faire
ces chroniques vidéo depuis quelques années qu’il faut vraiment
qu’il y en ait une qui sorte du lot pour que je l’apprécie.
Mais par contre, j’apprécie le travail fourni même si ce
n’est pas une vidéo qui me plaît. Je vois le travail que
ça représente, notamment sur les vidéo-magazines et donc
on en parle, c’est normal.
Quels sont les trois vidéos que tu préfères
?
En flat ?
Bah
nan, en général, enfin bmx et même en général
ouais…
Instrument, un documentaire sur le groupe Fugazi : c’est un film
phénoménal que je peux regarder régulièrement sans
me lasser. Après je te dirais une vidéo d’Hoover, vidéo
amateur d’un concert à un festival aux États-Unis en 93
que j’ai eu la chance de chopper par un ami et c’est un truc que
je regarde assez souvent. Et troisième, euhh… Ouais je vais dire
une vidéo de flat… nan je suis pas sûr que ça entre
dans le top trois, ça serait pas vrai ! (rires) Nan top trois, je pense
que ça va être une vidéo dans le style… Les Tontons
Flingueurs ! (rires)
Ah ouais ! Là c’est très
différent ! (rires)
Après, je dois dire que j’ai beaucoup aimé Groundwork
de chez Props : j’adore cette vidéo, l’ambiance qui va avec.
C’est peut-être pas le riding le plus fou, même à l’époque
où c’est sorti, pas forcément le truc qui te foutait une
claque mais je trouve qu’il y a une telle ambiance dans cette vidéo…
Je la trouve tellement positive et c’est super proche du sentiment que
j’ai pour le flat en fait. J’ai adoré Groundwork,
je pourrais la regarder encore sans problème et c’est une vidéo
qui me donnera envie de rouler juste par ce qu’elle dégage et ça,
je trouve que c’est rare de nos jours… Il y a tellement de vidéos
aujourd’hui qui sont juste une accumulation de… Tours de magie (rires),
de tricks. Quand c’est quelqu’un comme Martti, ça passe très
bien, c’est le moins que l’on puisse dire, mais sinon c’est
souvent indigeste. Il y a vraiment peu de vidéos qui arrivent à
capter la meilleure ambiance du flat. Cela dit Intrikat fait plutôt du
bon boulot
A part ça, tu es un pro rider. Donc tu
roules pour gagner ta vie. Comment ça se passe ?
Première chose, je ne gagne pas ma vie en faisant du vélo, malheureusement.
La deuxième chose, je ne roule pas pour gagner ma vie. Je te dirais que
si je peux gagner ma vie avec le flatland, tant mieux surtout parce qu’aujourd’hui
je ne suis plus tout seul à la maison… Mais je vais être
sur mon vélo quoiqu’il arrive. Je ne suis pas là pour avoir
absolument ce statut de pro rider. Ce n’est pas la question. J’ai
choisi de développer quelque chose pour moi avec le riding… Pour
moi et pour les autres, car si je peux le partager aussi, c’est bien mieux.
La question de l’argent a tellement tendance à détourner
quelqu’un du but originel qu’il s’est fixé que je veux
simplement que les choses soient dans l’ordre dans ma tête. Mais
il est clair que je passe tellement de temps sur mon vélo que je ne peux
pas bosser à plein temps donc si je peux en vivre, il va de soi que je
le fais. Pour le moment, j’ai toujours besoin de travailler à côté
et j’ai la chance d’avoir un travail que je peux organiser en fonction
du riding la plupart du temps. Je ne roule pas pour gagner ma vie, je roule
parce que j’ai ce truc à faire (rires) et je veux aller au bout
de ça. Cela me rend heureux, cela m’apporte une autre forme de
richesse, une expérience, un épanouissement. C’est une décision
que j’ai prise il y a quelques années. Si je gagne ma vie avec,
tant mieux, sinon je me débrouille. Mais c’est clair que c’est
un choix important : la preuve, autrement j’aurais un travail à
plein temps comme beaucoup de gens et j’aurais donc fait un autre choix
de vie, mais hélas je ne serais pas à ma place. Je suis assez
angoissé par la durée de la vie donc j’essaie de faire les
choses quand j’en ai envie. Je sais que je retomberai sur mes pieds le
moment venu, quand je sentirai que je ne peux pas continuer comme je le veux
et qu’il est temps pour moi de passer à autre chose. Cela sera
naturel. Mais pour l’instant, tout va bien ! (rires)
Cependant, tu es allé au bout de tes études…des
études de lettres et d’histoire me semble t-il, non ?
Lettres.
Ok
d’accord. Qu’aurais tu à dire à ceux qui prétendent
qu’il est difficile de concilier bmx et études ?
Le bmx m’a permi de me concentrer sur les études au moment où
il le fallait, ça m’a permis de m’aérer l’esprit
et ne pas avoir tout le temps la tête dans les études. Personnellement
ça ne me réussissait pas de trop étudier. J’ai toujours
fait en sorte de rouler suffisamment les week-ends ou certains soirs, un après-midi
si j’en avais un. C’est conciliable. Après, ce qui est diffcilement
conciliable, c’est si tu veux développer quelque chose d’un
certain niveau avec le riding mais ça, c’est un autre choix. Je
pense que si tu choisis de mettre le riding comme priorité, c’est
clair que les études, c’est difficile de les associer avec. Pas
impossible mais difficile.
Mon choix de mettre le riding au premier plan s’est fait tardivement.
J’ai fini mes études vers l’âge de 25 ans, je roulais
depuis déjà une bonne douzaine d’années quand j’ai
pris cette décision. Mais il faut aussi comprendre que je viens d’un
autre contexte, que les années 80 ne sont que les balbutiements du flat
(c’est presque comme si mes 5-6 premières années de riding
ne comptaient pas, ce qui n’est pas concevable aujourd’hui !) et
que prendre cette décision au milieu des années 90 n’est
en rien comparable à maintenant. Mais à l’époque
où je faisais mes études, c’était complètement
impensable de ne faire que du vélo. Maintenant, les jeunes voient «
des pros » et se disent peut-être qu’il y a un avenir là-dedans,
j’en sais rien… Moi je peux te dire que quand je faisais mes études,
pour nous l’avenir du bmx, c’était le néant, la marginalisation
! (rires) Il n’y avait rien ou si peu ! Juste quelques rescapés
qui refusaient de voir mourir leur passion. Je pense que cela a joué
aussi. Quand j’ai décidé de me plonger beaucoup plus dans
le riding à cette époque-là, ce n’était pas
pour devenir un professionnel mais avant toute chose pour donner un meilleur
sens à ma vie. C’était juste ce que j’avais envie
de faire. Personne n’imaginait vivre du flatland à l’époque,
en tout cas pas moi. Finalement, c’est peut-être sain d’avoir
eu à prendre cette décision à une période aussi
creuse pour le bmx car je l’ai vraiment fait pour le riding. Aujourd’hui,
avec l’argent et les sponsors, les données ont changé pour
les jeunes ce qui n’est pas forcément une bonne chose dans leur
approche du riding. Certains risquent malheureusement de se tromper, de prendre
les choses dans le désordre.
Pour revenir aux jeunes, que voudrais-tu dire
à ceux qui voudraient arrêter leurs études justement pour
le bmx ?
Qu’ils sachent d’abord lire et écrire ! Et qu’ils se
posent ensuite cette question : « Est-ce mon grand désir de rouler
et de voir jusqu’où je peux mener mon riding qui me motive à
vouloir me consacrer à fond au flatland ou est-ce que c’est le
statut de pro rider qui me fait rêver avec les sponsors, l’argent
et l’exposition médiatique ? ». Je reste persuadé
que, pour aborder les choses dans l’ordre et pour un bon (et prolongé)
épanouissement personnel, c’est la passion du riding qui doit orienter
ce choix. Dans le fait d’être pro, ce n’est pas le statut
qui compte mais bien la réalité de tous les jours qui est à
mon avis d’explorer le plus possible son propre riding et d’essayer
de le partager du mieux possible avec ceux que cela intéresse. Si des
choses agréables doivent arriver comme de l’argent ou du matériel
neuf, ces choses viendront en temps et en heure mais elles ne devraient jamais
motiver une telle décision. Enfin ça me paraît une évidence…
L’entretien s’achève : des
remerciements ?
Je voudrais remercier Alex Barret chez Twenty, Mike Emde chez Carhartt, Matt
Coplon chez Profile, Vinnie Guédès, Papy (Soul), mes amis et ma
famille. Je voulais aussi remercier chaleureusement toutes les personnes qui
se bougent en France pour organiser des contests de flat de qualité comme
Pascal, Ismaël, les Limougeauds, Alexandre Jumelin, les Grenoblois. C’est
beaucoup de travail mais ces week-ends contribuent vraiment à faire bouger
le flat en France, année après année.
Questions et photos de Dwix
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